LE GRAND PRIX DU LIVRE DE MONTRÉAL

grand prix du livre de Montréal

De la reliure d’art pour la littérature

Depuis l’an dernier, la Ville de Montréal a décidé de lancer un appel de projets pour sélectionner le ou la relieuse qui réalisera, en double exemplaire, la reliure d’art qui ornera le livre lauréat du Grand Prix du livre de Montréal.

En 2019, ma proposition a eu l’honneur d’être choisie par le comité de sélection et j’ai donc livré deux reliures d’art début novembre 2019.

Le prix a été décerné à l’oeuvre Comment nous sommes nés, de Carole David.

L’une de mes reliures a été offerte à la lauréate lors de la cérémonie de remise du Prix, la seconde rejoint la collection d’oeuvres d’art de la Ville.
Je suis évidemment super fière d’avoir pu contribuer à ce super projet !

Un peu de technique…


En ce qui concerne la technique, c’était évidemment un livre collé. J’ai donc choisi une technique de dos « libéré » qui permet de travailler sans couture, sur un dos carré. J’ai dessiné des silhouettes fantomatiques que m’évoquaient les poèmes de ce recueil. Grâce à ma formation avec le fablab Échofab, je suis allée graver moi-même des plaques de contreplaqué recyclé au laser avec mon motif numérisé (d’ailleurs un gros merci à François, le technicien toujours si patient et enthousiaste !). L’idée était de créer cette reliure avec les moyens mis à la disposition de l’artiste-citoyenne, par la communauté.

Les plaques gravées ont été mises en presse pour imprimer le motif dans le cuir. L’une d’entre elles a aussi été encrée pour ajouter de la profondeur au motif créé. J’ai ensuite rehaussé les livres au fer, avec des ajouts argentés, à main levée.

J’ai ensuite confectionné des coffrets en papier enduit mat. Dans chaque des coffrets, j’ai inclus dans le couvercle un des deux bois gravés, que j’ai signés, qui ont servi au décor. Ils font ainsi partie intégrante des oeuvres. Ils sont encapsulés dans un film de polyester afin de ne jamais entrer en contact avec les oeuvres. Les boites ont un rabat magnétique, et sont ornées du logo du Grand Prix du Livre de Montréal, marqué à chaud.

ARA France : Hommage aux écrivains de la Grande Guerre

Participer à une expo, pour quoi faire ?

J’en ai déjà parlé, participer aux expositions est une forme d’exercice que je m’impose de temps en temps. Il est assez rare d’avoir des demandes de clients pour des reliures d’art, sur des beaux livres illustrés, et avec la possibilité de laisser libre cours à son imagination. C’est pourtant l’occasion de pousser ses limites, de se forcer à élaborer une démarche artistique plus dense, de s’entrainer sur des techniques plus rarement utilisées lors du travail d’atelier. C’était un des premiers conseils que m’a donnés Odette Drapeau, ma mentor et je le trouve aujourd’hui encore très approprié. Cela permet aussi de ne pas se perdre en tant qu’artiste. Et je reprends le flambeau et donne le même conseil à mes élèves, intéressées par l’exploration et les défis.

ARA- France et l’expo thématique…

ARA est un réseau associatif, les Amis de la Reliure d’art, qui possède des antennes dans plusieurs pays : ARA-Canada (dont je suis membre), ARA-France, ARA Belgica, ARA Suisse, etc…
ARA-Canada édite souvent ses propres livres d’artiste pour les expositions : j’adore ! Que ce soit La Couleur du vent, de Gilles Vigneault, illustré par Nastassja Imiolek ou Chemins de traverse, par Ghislaine et Luc Bureau, ils sont toujours uniques, avec des gravures sensibles, un travail typographique recherché, du papier magnifique, en tirage super limité.
ARA-France organise plutôt des expositions thématiques, avec un livre choix d’ouvrage. Pour l’expo de 2018, il s’agissait de rendre hommage, en ce centenaire de l’armistice, aux écrivains de la Grande Guerre.
J’ai choisi un livre de Joseph Delteil, Les Poilus. J’ai découvert Delteil, écrivain, lorsqu’étudiante, je travaillais dans une librairie de livres anciens, spécialisée dans l’oeuvre des Surréalistes. L’édition que j’ai choisie était agrémentée de gravures de Jean Oberlé, illustrateur et résistant oeuvrant à Radio Londres. (Radio-Paris ment, Radis-Paris ment, Radio-Paris est allemand, c’est de lui, figurez-vous !)

Les Poilus. Épopée.

J’ai, pour cette reliure, réalisé un plein cuir, de veau gris et de buffle noir. La ligne de contraste entre les deux couleurs évoque la ligne de front de toutes les batailles de la Grande Guerre et l’antagonisme des belligérants. J’ai décoré au fer et au pigment argenté les cuirs d’une multitude de petits points aléatoires, qui représentent les nombreux soldats, vu d’en haut. Parmi ces points d’argent, se détachent quelques points bleus et rouges, représentant les bleuets de France et les coquelicots anglo-saxons, les deux fleurs du Souvenir, qui poussaient malgré tout sur la terre de des champs de bataille. Les tranchefiles de soie, brodées à la main, rouges ornées d’une touche de marine, reprennent cette symbolique.
Ce n’est pas ma reliure la plus aboutie, j’étais débordée par le travail à l’atelier à ce moment-là, mais j’étais fière d’avoir été capable d’envoyer quand-même quelque chose : les expos d’ARA-France sont toujours tellement chouettes !

Et après ?

Après les expositions, on récupère en général nos reliures. Elles peuvent être vendues mais ça ne m’est jamais arrivé (je pense que c’est assez rare ?). Je les garde évidemment, dans le but de me constituer un corpus d’oeuvres. Il est possible aussi de les soumettre au programme d’acquisition de la BAnQ.
C’est ainsi que trois de mes oeuvres ont rejoint la collection patrimoniale : Soulages, réalisée pour la Biennale de la reliure d’art organisée par ARA-Belgica, La Couleur du vent, créée pour l’expo du même nom d’ARA-Canada et J’aime, de Julie Doucet, exécutée pour mon expo à HEC.
Pour la prochaine, j’envisageais de m’inscrire à l’expo OPEN. SET mais je vois que la dead-line pour l’inscription est le 1er Mai, et je n’ai encore pensé à rien… À suivre!